La préparation d’une documentation prix de transfert décrivant la politique appliquée par les groupes internationaux constitue une étape incontournable dans la mise en œuvre et la défense d’une politique prix de transfert. Cependant, dans le cadre de contrôles fiscaux, cette documentation s’avère parfois insuffisante à satisfaire les multiples demandes des autorités fiscales alors qu’elle aurait pu, dans la plupart des cas, être consolidée via quatre principaux piliers.
Par Hereil Lontsi, PwC Société d’Avocats, et Olivier Tourmen, avocat, PwC Société d’Avocats
Le premier pilier est lié à l’analyse fonctionnelle, qui est une pierre angulaire de la documentation prix de transfert, et qui consiste pour mémoire à décrire de manière synthétique les fonctions exercées, les actifs mobilisés et les risques contrôlés par les différentes parties engagées dans une transaction intragroupe et à introduire les circonstances générales dans lesquelles elles évoluent. Ainsi, l’analyse fonctionnelle présente une vue d’ensemble sur la répartition des rôles convenus entre les parties et leurs profils de risque respectifs. Ceci étant dit, il est rare qu’elle suffise d’elle-même à convaincre les autorités fiscales de l’effectivité de la répartition des rôles des parties ; celles-ci souhaitent généralement approfondir la description faite dans l’analyse fonctionnelle et s’attendent à recevoir des éléments tangibles apportant des preuves sur les rôles, les activités et les responsabilités effectivement assumées par les parties. Dans cette perspective, l’analyse «RACI1» représente une ligne de défense additionnelle de l’analyse fonctionnelle, puisqu’elle offre une vision plus fine des responsabilités des parties dans les principaux processus décisionnels, les procédures de gouvernance et les modalités de délégation de pouvoir. Ce travail de réflexion autour du rôle des parties est également l’occasion de s’assurer qu’aucun empiétement ne vient perturber l’équilibre de la ségrégation des tâches.
La remise en cause régulière des analyses fonctionnelles présentées dans la documentation prix de transfert lors de contrôles fiscaux, combinée au renouvellement du paradigme fiscal présidant à l’analyse des prix de transfert en germe dans les dernières publications de l’OCDE, devrait conduire les contribuables à repenser leurs documentations prix de transfert.
L’approche documentaire pourra être renouvelée et inclure notamment une analyse de la chaîne de valeur. Cette méthode empirique quantitative et qualitative permet d’attribuer à chaque maillon de la chaîne de valeur une méthode et un niveau de rémunération appropriés à sa contribution à la création de valeur, par comparaison avec un groupe de pairs.
En outre, si la comparaison avec des pairs s’écarte de l’approche prix de transfert classique consistant à privilégier la comparaison avec des indépendants, elle a le mérite d’améliorer la qualité de l’analyse : les pairs ou concurrents constituent, indéniablement, de bien meilleurs comparables que des indépendants dont les enjeux sont souvent bien éloignés de ceux des groupes multinationaux.
Ce type d’approche permet aux contribuables de proposer à l’administration fiscale une analyse détaillée de la contribution économique de chaque activité assumée par l’entreprise à la création de valeur d’ensemble des opérations économiques du groupe d’entreprises associées. Dans un contexte de renouvellement des règles d’attribution des profits des activités digitales et peut-être, au-delà, d’intégration grandissante des activités économiques, et du regain d’intérêt pour des méthodes de partage de profits par l’OCDE et l’UE, l’analyse des contributions à la création de valeur fera l’objet de discussions régulières avec les administrations fiscales.
Cette approche pourrait dès lors compléter les approches documentaires traditionnelles, reposant avant tout sur une analyse qualitative des fonctions et des risques assumés.
Au-delà du renouvellement de l’approche documentaire, les nouvelles obligations documentaires en matière de prix de transfert imposent désormais de constituer et de publier un volet spécifique sur l’analyse financière et la réconciliation avec les données fiscales publiées. La cohérence des données financières utilisées devient alors le deuxième pilier. Il devient fondamental de développer et d’harmoniser des processus internes de reporting, en établissant des liens avec les opérations comptables primaires, de manière à garantir l’uniformité des données utilisées pour le calcul des prix de transfert. Ainsi sont notamment à définir, à préciser et à communiquer à l’échelle des groupes internationaux, les éléments comptables à prendre en compte pour le calcul des soldes intermédiaires de gestion (tels que la marge brute, le résultat opérationnel, le cash-flow opérationnel Ebitda2), le calcul de l’assiette de coûts facturée dans le cadre des prestations de services intragroupes, ou pour la segmentation des comptes de résultat d’une entité aux profils fonctionnels multiples. Ce travail sur les processus internes et sur les données financières disponibles a donc vocation à démontrer (en cas de contrôle fiscal) l’effectivité de la politique prix de transfert décrite et de permettre la réconciliation avec les comptes statutaires. Suite aux modifications apportées à l’article L. 13 AA du LPF applicables à compter des exercices fiscaux ouverts au 1er janvier 2018, cette analyse doit désormais être perçue comme une part intégrante de la mise en œuvre d’une politique de prix de transfert, puisque les groupes multinationaux sont désormais tenus d’intégrer à leur documentation prix de transfert «les informations et des tableaux de répartition indiquant comment les données financières utilisées pour appliquer la méthode de détermination des prix de transfert peuvent être reliées aux états financiers annuels ; des tableaux synthétiques des données financières se rapportant aux transactions comparables utilisées avec l’indication des sources dont ces données sont tirées».
L’innovation et la technologie forment le troisième pilier visant à inscrire le modèle prix de transfert dans la durée puisqu’il obéit à une contrainte de documentation annuelle. Tous les ans, les groupes internationaux doivent mettre en œuvre un processus long et chronophage de calcul des prix de transfert, de segmentation des comptes de résultats jusqu’au résultat d’exploitation, de calcul des ajustements de fin d’année pour atteindre les marges cibles et enfin de documentation (avec la préparation de matrices de transactions intragroupes) ; ce qui implique également un suivi régulier des échéances locales. L’innovation et la technologie apportées par les différents outils d’automatisation disponibles aujourd’hui permettent de fluidifier ce processus et de gagner en agilité. Nombreux sont les logiciels qui facilitent la collecte, le tri et le classement des données financières pertinentes pour l’analyse prix de transfert via une simple extraction de données brutes depuis un progiciel de gestion. Cette automatisation contribue à assurer l’homogénéité de l’ensemble du modèle, à améliorer la qualité et la cohérence des données disponibles et à limiter un travail manuel généralement source d’erreurs.
Ce travail d’automatisation permet également de se consacrer au quatrième et dernier pilier : le suivi régulier de la cohérence de la politique prix de transfert avec les évolutions organisationnelles et opérationnelles. Un travail d’identification et de suivi des disparités entre la politique prix de transfert définie et la réalité des chiffres et des opérations doit être conduit en vue d’initier le cas échéant des actions correctives, qui peuvent se limiter à la mise à jour des documentations prix de transfert et/ou des processus internes, ou alors au contraire impliquer une profonde revue de la politique prix de transfert. Il s’agit d’avoir connaissance en amont du contrôle fiscal, des zones de tensions existantes et d’établir une stratégie claire, réfléchie et assumée.
En conclusion, il convient aujourd’hui d’aller au-delà de la simple préparation de la documentation prix de transfert décrivant les principes du groupe en matière d’organisation opérationnelle et de politique prix de transfert. Les groupes multinationaux doivent s’organiser afin de présenter sur demande, en cas de contrôle, des éléments de preuve corroborant l’effectivité des rôles assumés par les entités et l’application de la politique prix de transfert. Ces exigences nécessitent de mettre en place des processus automatisés de collecte d’informations, qui ont le mérite de contribuer à la cohérence des informations disponibles, et de libérer les ressources nécessaires à l’analyse des zones de fragilité du modèle prix de transfert.
1. Acronyme anglais signifiant Responsible, Accountable, Consulted and Informed.
2. Acronyme anglais signifiant Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization.