La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2019

Quelle stratégie fiscale adopter en matière de prix de transfert aujourd’hui ? Qu’en est-il de la relation de confiance instaurée par la procédure des accords préalables de prix (APP) ?

Publié le 11 octobre 2019 à 16h03

Myriam Elle et Lina Kabbaj, PwC Société d’Avocats

Dans un contexte d’évolution des réglementations juridiques et fiscales en France, la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables constitue un enjeu économique de taille. En matière de prix de transfert, la relation de confiance s’illustre aujourd’hui principalement à travers le mécanisme des accords préalables de prix («APP»).

Par Myriam Elle, avocat, PwC Société d’Avocats et Lina Kabbaj, PwC Société d’Avocats

Le principe de la relation de confiance sous-entend la transparence des entreprises avec l’administration fiscale, afin qu’elles bénéficient en retour de la bienveillance de l’administration qui valide les montages fiscaux et corrige les potentielles erreurs. L’objectif derrière ce principe est de réduire le nombre de contentieux et d’économiser du temps et des ressources tant pour l’administration fiscale que pour le contribuable. Le gouvernement a officiellement évoqué le principe de relation de confiance en 2013 avec l’annonce de mesures visant à créer une nouvelle forme de revue de la situation fiscale des entreprises fondée sur la confiance.

En matière de prix de transfert, la relation de confiance existe depuis plus longtemps à travers les demandes d’APP auprès de la mission d’expertise juridique et économique internationale («MEJEI»), qui ont pour objectif de garantir aux entreprises une sécurité juridique pour une période prédéterminée en leur permettant de conclure des accords sur leurs politiques de prix de transfert et de réduire les risques de double imposition.

L’adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude, adoptée le 10 octobre 2018, a mis un coup de frein au souhait annoncé de plus de relation de confiance entre contribuables et administration fiscale. Cette loi s’est notamment traduite par un renforcement des moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale et par un alourdissement de l’arsenal de sanctions, avec l’obligation pour l’administration d’informer le parquet des rehaussements remplissant certains critères définis par la loi et impactant plus particulièrement les redressements en matière de prix de transfert. Ces mesures ont engendré un environnement anxiogène pour les contribuables, les incitant à plus de réserves. Paradoxalement, dans cet environnement législatif, les contribuables sont plus que jamais enclins à assurer une sécurité juridique qui les immuniserait des sanctions de cette loi.

Parallèlement, compte tenu de l’accroissement exponentiel des obligations documentaires mondiales en prix de transfert et de la globalisation des contrôles fiscaux, les multinationales expriment leur volonté de recourir aux APP et de les intégrer dans leurs stratégies fiscales (ceci malgré le constat d’une récente baisse du nombre d’APP gérée par la MEJEI). Ainsi les entreprises ayant déjà un APP mis en place font généralement le choix du renouvellement afin d’allonger la période de sécurité juridique qui est assurée par ce mécanisme.

Cette évolution témoigne d’une volonté commune pour préserver voire renforcer la relation de confiance entre l’administration et le contribuable puisque s’engager dans une procédure d’APP nécessite de la part de l’entreprise la communication d’un volume important d’informations relatives à l’entité française et à l’entité étrangère liée avec laquelle on entend définir des prix. En retour, la MEJEI assure la confidentialité de toutes les informations transmises pendant la procédure de traitement de la demande d’APP qui ne peuvent donc pas être communiquées à des fins de contrôle fiscal.

En mars 2019, le gouvernement a proposé des mesures qui ont pour objectif d’installer une «nouvelle relation de confiance» pérenne entre les entreprises et l’administration fiscale sans pour autant compromettre le pouvoir de contrôle de cette dernière. Ces mesures font suite à la loi pour un Etat au service d’une société de confiance (loi Essoc 2018-727 du 10 août 2018) visant à permettre la validation par les sociétés de certaines opérations indépendamment de tout contrôle fiscal. Annoncées en mars 2019, ces mesures incluent la possibilité d’un accompagnement fiscal personnalisé pour les PME et la possibilité pour les grandes entreprises et les ETI de recourir à un partenariat fiscal auprès du Service partenaire des entreprises («SPE») ; ce partenariat permet à l’entreprise de solliciter un interlocuteur référent au sein de l’administration fiscale afin d’effectuer l’examen du traitement fiscal des opérations présentant un risque ou des enjeux stratégiques. Le SPE pourra notamment prendre en charge des sujets ponctuels de prix de transfert, tels que la validation d’un taux de redevance. Une association entre le SPE et la MEJEI est d’ailleurs envisagée dans le cadre de l’examen d’APP.

Ces mesures incluent aussi la création de deux guichets : un guichet unique consacré au traitement de certains types de rescrits et un guichet international auquel les entreprises peuvent s’adresser pour faire part de leurs problématiques rencontrées à l’international, dont la responsabilité est confiée à la MEJEI. Ces dispositifs devraient notamment permettre aux entreprises d’obtenir des réponses à leurs questions en matière fiscalité locale et internationale dans de meilleurs délais. Ces nouvelles structures du service public témoignent d’une réelle volonté de mieux appréhender les diverses et complexes problématiques fiscales des entreprises. La participation des entreprises au partenariat fiscal devrait certainement faciliter et accélérer les procédures d’APP, améliorant incidemment la relation de confiance en matière de prix de transfert.

Le recours de plus en plus systématique aux APP et les mécanismes incitant les entreprises à la transparence et favorisant la sécurité juridique laissent présager des perspectives prometteuses pour la relation de confiance en matière de prix de transfert. Il reste toutefois à déterminer si ces évolutions seront accompagnées d’un changement de mentalité de l’administration fiscale, d’une part, et de l’ensemble des entreprises d’autre part.


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