La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2019

La pénalisation de la fiscalité au service de la relation de confiance ? Incitation à la sécurisation des pratiques ?

Publié le 11 octobre 2019 à 16h03

Anne-Caroline Cixous et Louis Brun d’Arre, PwC Société d’Avocats

En matière de prix de transfert, les contribuables français ont dû s’adapter rapidement à un environnement contraignant, impacté par les recommandations issues des travaux BEPS1. De la déclaration pays par pays à la documentation complète des prix de transfert, la charge administrative pesant sur les contribuables s’est accrue considérablement ces dernières années.

Par Anne-Caroline Cixous, avocat, PwC Société d’Avocats, et Louis Brun d’Arre, PwC Société d’Avocats

En matière de prix de transfert, les contribuables français ont dû s’adapter rapidement à un environnement contraignant, impacté par les recommandations issues des travaux BEPS1. De la déclaration pays par pays à la documentation complète des prix de transfert, la charge administrative pesant sur les contribuables s’est accrue considérablement ces dernières années.

Le législateur français, après avoir créé les conditions de contrôles fiscaux renforcés, grâce à l’abondance d’informations à déclarer et à rendre disponibles pour l’administration fiscale en cas de contrôle, est venu renforcer l’environnement répressif avec l’instauration de dispositifs pénaux en matière fiscale élargis et alourdis. La création de ces mesures doit servir le projet de l’Etat de promouvoir une «société de confiance». Il est alors permis de se demander si la création d’une «société de confiance» peut légitimement passer par la pénalisation de la fiscalité.

Instaurer une «société de confiance», une ambition forte

La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a permis un renforcement de l’arsenal pénal et administratif ainsi qu’un durcissement des dispositions afférentes aux Etats à fiscalité privilégiée et aux ETNC2. Cette loi «anti-fraude» succède à la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance, et s’inscrit dans un contexte législatif plus large visant à créer les conditions de l’établissement d’une relation de confiance entre les contribuables, les administrés et leurs administrations. La pénalisation de la fiscalité en France serait alors au service de cette vaste ambition.

Par un renforcement du dispositif de répression pénale…

Cette loi «anti-fraude» a partiellement mis fin au monopole de l’administration fiscale sur l’opportunité de poursuites pénales en matière de fraude fiscale (communément appelé «verrou de Bercy»). Pour rappel, le Procureur de la République ne pouvait engager des poursuites pénales en l’absence d’un dépôt de plainte par l’administration fiscale (lui-même conditionné à l’obtention d’un avis conforme de la Commission des infractions fiscales – «CIF»). Le nouveau dispositif prévoit ainsi le dépôt automatique d’une plainte par l’administration fiscale dans les cas les plus «graves» notamment caractérisés lorsque (i) les droits éludés sont supérieurs à 100 000 euros, (ii) avec application d’une pénalité de 40 %, (iii) concernant des contribuables ayant déjà fait l’objet d’un redressement avec application de ces pénalités dans les six dernières années civiles.

Par ailleurs, le législateur a également renforcé les sanctions pénales encourues pour fraude fiscale en portant le montant maximal des amendes prévues en cas de fraude fiscale et de fraude fiscale aggravée à respectivement 500 000 euros et 3 000 000 euros ou, si supérieur, au double du produit tiré des faits litigieux. L’amende pourra même être portée au décuple du produit tiré de l’infraction pour les personnes morales. A cet égard, l’administration fiscale se constituera automatiquement partie civile lors d’un dépôt de plainte pour fraude fiscale ou présomption caractérisée de fraude fiscale afin de demander que les prévenus soient condamnés au paiement solidaire des impositions fraudées et des pénalités fiscales dues par une personne morale.

De plus, cette loi a doté l’administration fiscale de moyens renforcés en créant le Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Ce nouveau service (rattaché au ministère du Budget) coexistera donc avec la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), rattachée au ministère de l’Intérieur, et il pourra, sous l’autorité d’un magistrat, perquisitionner, géolocaliser, mettre en garde à vue, faire des auditions, mettre sous écoute, saisir des biens. Ces moyens considérables devraient faciliter le travail des enquêteurs parfois démunis devant la complexité et la sophistication des montages frauduleux.

… et la création d’un dispositif de sanctions administratives

Cette loi de pénalisation de la fiscalité a instauré de nouvelles sanctions non financières, mais fort préjudiciables aux contribuables, telles que le dommage image (aussi appelé «name and shame»). La publicité des pénalités fiscales appliquées à des personnes morales à raison de manquements à leurs obligations fiscales d’une particulière gravité (manœuvres frauduleuses, abus de droit ayant entraîné un rehaussement en droits d’au moins 50 000 euros) témoigne de l’attention du législateur aux délits fiscaux et de sa volonté de remédier par tout moyen aux pratiques visant à éluder l’impôt.

Cette pratique de la publication des comportements délictueux sera soumise à l’obtention d’un avis conforme de la Commission des infractions fiscales, et pourrait potentiellement trouver à s’appliquer assez largement, compte tenu de l’application très fréquente par l’administration fiscale de la pénalité de 40 %.

Une ouverture des voies du dialogue ?

La voie transactionnelle au centre de toutes les intentions

La réputation fiscale des entreprises étant maintenant en jeu, la voie transactionnelle, récemment ouverte par la loi «fraude», pourrait susciter l’intérêt des contribuables. En témoigne la récente transaction (convention judiciaire d’intérêt public – dispositif ouvert aux cas de fraude fiscale depuis la loi «fraude») conclue par Google en France.

En effet, la loi anti-fraude a ouvert la voie transactionnelle en rétablissant la faculté pour l’administration fiscale de signer une transaction avec le contribuable indépendamment de la dénonciation de ces faits au parquet, du dépôt d’une plainte pénale ou de poursuites engagées par le Procureur de la République. Google a profité de cette nouvelle faculté, et a choisi de conclure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Pour rappel, la CJIP permet à une personne morale de conclure une transaction judiciaire lui permettant d’échapper aux poursuites pénales (sans reconnaissance de culpabilité de la part de la personne morale), en contrepartie du paiement d’amendes et éventuellement de la mise en place d’un programme de mise en conformité. Cette voie transactionnelle devrait être préférée par les entreprises ne souhaitant pas s’engager dans un procès long à l’issue incertaine pouvant causer un préjudice d’image.

La pénalisation de la fiscalité voulue par le législateur, tout en étant caractérisée par la création d’un arsenal répressif renforcé, est ainsi également marquée par l’instauration des conditions d’un dialogue renouvelé entre les contribuables et l’administration fiscale.

La bonne foi du contribuable «récompensée» ?

Alors que le législateur a instauré cet arsenal de sanctions pénales et administratives appliquées à la fiscalité, le ministre de l’Action et des Comptes publics a aussi créé les conditions de l’établissement d’une relation de confiance renouvelée fondée sur la bonne foi, lorsqu’il a institué un guichet de mise en conformité spontanée de situations fiscales. La circulaire du 28 janvier 2019 permet à des entreprises ou à des dirigeants de régulariser spontanément certains éléments de leur situation fiscale, tels que des activités non déclarées constitutives d’établissements stables, la déduction d’intérêts au mépris de l’article 212 du Code général des impôts (CGI), des montages abusifs ou illicites ou encore des situations fiscales personnelles touchant des dirigeants d’entreprises. Cette voie de régularisation spontanée permettra aux contribuables de bénéficier de remises de pénalités éventuelles.

Elle atteste donc de l’intention du législateur et du gouvernement d’établir les conditions d’un renouvellement des pratiques fiscales des contribuables, invités à sécuriser leurs positions et à dialoguer avec l’administration fiscale.

1. Projet «Base Erosion and Profit Shifting» mené par l’OCDE et le G20.

2. ETNC : Etats et territoires non coopératifs.


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Programme de travail de l’OCDE

Adam Manczyk et Claire Alp, PwC Société d’Avocats

Au cours de la dernière décennie, le programme de travail de l’OCDE en matière de fiscalité internationale a été axé sur le renforcement de la transparence fiscale et sur l’harmonisation de la réglementation au sein des pays membres.

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