La lettre gestion des groupes internationaux

Décembre 2019

Incidences de l’introduction en droit français du volet «ATAD 2» sur le financement des structures d’investissement immobilier

Publié le 13 décembre 2019 à 16h05

Sébastien Delenclos et Thomas Poiret , PwC Société d’Avocats

L’article 13 du projet de loi de finances pour 20201 actuellement en discussion devant le Parlement met un terme au dispositif anti-hybride codifié à l’article 212 I b) du Code général des impôts et introduit en France les dispositions de la directive ATAD 22 en matière de lutte contre les dispositifs hybrides.

Par Sébastien Delenclos, avocat, PwC Société d’Avocats et Thomas Poiret, avocat, PwC Société d’Avocats

Suite aux travaux de l’OCDE3, le Conseil de l’Union européenne a adopté la directive ATAD 14 prévoyant un cadre visant à lutter contre les dispositifs hybrides. La directive ATAD 2 a été adoptée le 29 mai 2017 en complément des travaux de cette dernière sur ce sujet. Cette seconde directive étend les mesures correctives (i) aux dispositifs hybrides utilisant des établissements stables, (ii) aux situations de transferts d’hybrides et aux dispositifs hybrides importés ainsi qu’à l’ensemble des effets de double déduction et (iii) aux dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers.

L’introduction de ces nouvelles règles amène les investisseurs immobiliers de toute nature à s’interroger sur la déductibilité des charges d’intérêts dans le cadre des structures de financement actuelles et à venir. Une amorce de clarification, à l’aune d’une comparaison avec le dispositif actuel, semble utile.

Dispositif actuel

Le dispositif actuel conditionne la déductibilité des intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée (directement ou indirectement) à la démonstration, par l’entreprise débitrice et à la demande de l’administration, que l’entreprise qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l’exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l’impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun et au taux normal5.

Dans l’hypothèse où l’entreprise prêteuse est domiciliée ou établie à l’étranger, l’impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun et au taux normal s’entend de celui dont elle aurait été redevable en France sur les intérêts perçus si elle y avait été domiciliée ou établie6 (ainsi, il est notamment tenu compte des règles d’assiette propres aux intérêts qui viendraient limiter le montant des intérêts imposables7).

Ces dispositions n’autorisent pas la déductibilité des intérêts versés à des entreprises liées dans le cadre des structures d’investissement suivantes :

– structures avec des prêteurs dont le produit des intérêts est soumis à un taux effectif d’impôt sur les bénéfices inférieur à 7,75 % (considérant le taux d’impôt sur les sociétés applicable à la date du présent article) ;

– structures avec des prêteurs exonérés d’impôt sur les bénéfices en vertu d’une disposition spéciale (ex. SIIC pour leur secteur exonéré, fonds de pension, etc.) ;

– certaines structures possédant un caractère hybride (structures impliquant une société luxembourgeoise prêtant à sa filiale SCI française regardée comme transparente fiscalement au Luxembourg).

Nouveau dispositif

Le nouveau dispositif serait codifié aux articles 205 B, 205 C et 205 D du Code général des impôts et aurait pour objectif de lutter contre les dispositifs hybrides issus de l’interaction des systèmes d’imposition des sociétés des Etats membres de l’Union européenne, entre eux ou avec des Etats ou territoires tiers, favorisant ainsi l’optimisation fiscale des entreprises. Il s’appliquerait aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020 (ou aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022 s’agissant de certains dispositifs hybrides inversés).

Les dispositifs hybrides concernés peuvent naître de divergences quant à la qualification ou au traitement fiscal des instruments financiers ou des entités, ou encore de divergences quant aux règles d’attribution des paiements8.

La notion de dispositif hybride est définie de manière très large par le projet de texte, en phase avec la directive ATAD 2.

Néanmoins, les nouvelles règles ne s’appliqueraient aux dispositifs hybrides que lorsque les effets d’asymétrie surviennent entre entreprises liées, entre un établissement stable et son siège, entre deux ou plusieurs établissements de la même entité ou dans le cadre d’un dispositif structuré.

En présence d’un dispositif hybride conduisant à une déduction sans inclusion d’une charge d’intérêt, cette charge ne serait pas admise en déduction au niveau de l’entité débitrice française.

En présence d’une double déduction, la charge ne serait pas admise en déduction des revenus de l’investisseur établi en France. Lorsque cet investisseur est établi dans un autre Etat admettant la déduction de la charge, celle-ci ne serait pas admise en déduction des revenus du débiteur établi en France (sauf dans le cas où la double déduction concerne un revenu soumis à double inclusion).

Il résulte ainsi de la rédaction du nouveau dispositif que seraient désormais déductibles du résultat imposable de l’entité débitrice les intérêts relatifs à des prêts (plain vanilla) octroyés par (i) des prêteurs établis dans des juridictions à fiscalité réduite ou nulle (sous réserve de la remise en cause de la déductibilité de la charge d’intérêts lorsque le prêteur est localisé dans un pays à fiscalité privilégiée et que le débiteur n’apporte pas la preuve de la réalité des dépenses et de leur caractère normal9) et (ii) des prêteurs exonérés d’impôt sur les bénéfices en vertu d’une disposition spéciale (ex. SIIC dans leur secteur exonéré, fonds de pension). Le nouveau dispositif ne devrait toutefois avoir aucune incidence sur la déduction d’intérêts versés par les SPPICAV qui sont intégralement exonérées d’impôt sur les sociétés et probablement par les SIIC et leurs filiales pour leur secteur exonéré.

En revanche, les prêts accordés à des sociétés françaises translucides par leur associé étranger pourraient continuer à être soumis aux mesures anti-hybrides (ex. sociétés opaques luxembourgeoises détenant des SCI).

De même, les intérêts relatifs aux prêts octroyés par des entités hybrides ne seraient plus déductibles fiscalement dans la mesure où il n’y aurait pas inclusion du revenu dans l’Etat de résidence du bénéficiaire desdits intérêts. Cela pourrait par exemple être le cas des prêts octroyés par des SCSp luxembourgeoises fiscalement considérées comme transparentes au Luxembourg mais comme opaques dans d’autres juridictions comme les Etats-Unis ou la Corée.

Une attention particulière devra donc être apportée au droit fiscal étranger afin d’apprécier l’éventuelle hybridité des structures concourant au financement de sociétés françaises. A cet égard, les règles «check the box» en droit américain pourraient avoir une véritable incidence au regard des règles ATAD 2 (notamment pour les cas de double déduction).

Se pose aussi la question de la situation des porteurs de parts d’une entité qualifiée d’hybride qui sont eux-mêmes exonérés d’impôt sur les bénéfices en application de leur régime fiscal propre. Le paragraphe 18 du préambule de la directive ATAD 2 vise précisément cette situation et permet ainsi d’exclure celle-ci du champ d’application du dispositif. Notons que ni le projet de loi de finances pour 2020 ni les travaux parlementaires (contrairement à d’autres Etats membres tels que le Luxembourg et les Pays-Bas qui semblent reprendre cette exclusion) ne font référence à ce paragraphe, ce qui aurait permis de conforter une possible déduction de la charge. Il serait souhaitable que l’administration prenne position sur ce sujet.

Enfin, le projet de texte, suivant les recommandations de la directive, prévoit une clause refusant la déductibilité d’une charge d’intérêt lorsque celle-ci compense un autre paiement afférent à un dispositif hybride, directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’une transaction ou d’une série de transaction conclues entre des entreprises associées d’un même contribuable ou par l’intermédiaire d’un dispositif structuré (dite clause du dispositif hybride importé qui vise notamment les cas de prêts «back-to-back»). La charge serait toutefois déductible lorsque l’Etat de résidence d’une des entreprises concernées par la transaction (ou la série de transactions) a appliqué des mesures correctives, ce qui apparaît peu probable dans le cas de structures mises en place hors de l’Union européenne.

Ainsi, la technicité de ces nouvelles règles comme la nécessaire prise en compte de droits étrangers pour leur application rendent indispensable une approche multinationale alliée à une analyse approfondie des structures de financement.

Enfin, une future introduction en France du second Pilier de la proposition «GloBE» de l’OCDE pourrait couper court à d’éventuelles aspirations de financement auprès de structures localisées dans des juridictions à imposition nulle ou très faible.

1. Projet de loi de finances n° 2272 enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 27 septembre 2019.

2. Directive (UE) 2017/952 du Conseil du 29 mai 2017 modifiant la directive (UE) 2016/1164 en ce qui concerne les dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers.

3. Travaux BEPS action 2 de l’OCDE.

4. Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016.

5. Article 212 I b du Code général des impôts.

6. Article 212 I b, second alinéa du Code général des impôts.

7. BOI-IS-BASE-35-50-20140805 n° 100.

8. Exposé des motifs de l’article 13 du projet de loi de finances pour 2020 transposant la directive (UE) 2017/952 du 29 mai 2017 relative à la lutte contre les dispositifs hybrides (ATAD 2) et suites de la transposition de directive (UE) 2016/1164 du 12 juillet 2016 (ATAD 1).

9. Article 238 A du Code général des impôts.


La lettre gestion des groupes internationaux

Lutte contre les dispositifs hybrides : vers un profond changement de paradigme

Julie Copin et Guilhem Calzas, PwC Société d’Avocats

Dans son rapport de 2015 relatif à l’action 2 du projet BEPS1, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) avait déjà identifié le recours aux instruments hybrides comme l’un des schémas d’optimisation fiscale agressive les plus couramment utilisés par les groupes internationaux.

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