La lettre gestion des groupes internationaux

Décembre 2019

Lutte contre les dispositifs hybrides : vers un profond changement de paradigme

Publié le 13 décembre 2019 à 16h05

Julie Copin et Guilhem Calzas, PwC Société d’Avocats

Dans son rapport de 2015 relatif à l’action 2 du projet BEPS1, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) avait déjà identifié le recours aux instruments hybrides comme l’un des schémas d’optimisation fiscale agressive les plus couramment utilisés par les groupes internationaux.

Par Julie Copin, avocat, PwC Société d’Avocats et et Guilhem Calzas, avocat, PwC Société d’Avocats

A la suite de ce rapport, l’Union européenne a adopté des mesures spécifiques anti-hybrides dans ses directives ATAD 1 et ATAD 22. Le projet de loi de finances pour 2020 transpose ces mesures en droit français et supprime à cette occasion l’actuel dispositif français anti-hybride.

Objectif poursuivi par la nouvelle réglementation

L’objectif de la nouvelle réglementation est de lutter contre les schémas d’optimisation fiscale entre entreprises liées3 qui reposent sur les différences entre les législations de deux Etats quant à la qualification d’une entité ou d’un instrument financier ou à l’attribution d’un paiement. Sont ainsi visées les opérations qui donnent lieu à une déduction fiscale dans un Etat sans donner lieu à une imposition correspondante dans un autre Etat. Le dispositif vise également les situations dans lesquelles une même charge ou perte donne lieu à une déduction dans plus d’un Etat. Le projet de loi de finances vise les asymétries existant avec la législation d’un Etat membre ou celle d’un Etat tiers, mais également les asymétries indirectes (dites «importées») entre les législations de deux Etats tiers.

A titre d’exemple, le nouveau dispositif anti-hybride sanctionne les schémas dans lesquels une entreprise déduit les intérêts qu’elle verse à une entité liée située dans un autre Etat, lequel considère les sommes en cause comme des dividendes exonérés. Un autre schéma couramment utilisé implique une entité hybride qui est considérée comme opaque fiscalement dans son Etat de résidence mais comme transparente dans l’Etat de la société qui la contrôle. En l’absence de coordination fiscale, une déduction de charges engagées par l’entité hybride peut ainsi être obtenue dans les deux Etats.

Enfin, à la différence du dispositif anti-hybride actuel de l’article 212 I b) du Code général des impôts (CGI), qui ne s’applique qu’aux intérêts financiers, la nouvelle réglementation vise tous types de revenus, notamment les redevances et les rémunérations de services.

Les nouvelles dispositions anti-hybrides s’appliqueront aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020, à l’exception de certaines dispositions relatives aux dispositifs hybrides «inversés4», qui entreront en vigueur pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022.

Suppression du dispositif anti-hybride actuel fondé sur une exigence d’imposition minimale

Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit la suppression du dispositif anti-hybride actuel codifié à l’article 212 I b) du CGI. Cet article interdit la déduction fiscale de charges financières lorsque l’entreprise liée (établie ou non en France) ayant prêté les sommes, n’est pas soumise sur les intérêts correspondant à une imposition dont le montant est au moins égal au quart de l’impôt français déterminé dans les conditions de droit commun.

Lors de l’adoption de ce texte, des doutes étaient apparus sur sa conformité au droit de l’Union européenne dès lors que la Cour de justice de l’Union européenne sanctionne les textes qui sont a priori d’application générale mais qui, de facto, opèrent une discrimination entre opérations internes et opérations transfrontalières. Le projet de loi de finances en tire les conséquences en considérant que la suppression du dispositif s’impose non seulement au regard des nouvelles exigences des directives ATAD mais également dans la mesure où le dispositif actuel est susceptible d’être regardé comme une restriction disproportionnée aux libertés de circulation européennes.

Nouveau champ d’application du dispositif anti-hybride

Certains schémas qui se trouvent actuellement dans le champ de l’article 212 I b) du CGI en raison de l’absence d’imposition effective de l’entreprise prêteuse pourraient échapper à la nouvelle réglementation anti-hybride s’il n’existe aucun effet d’asymétrie. D’autres dispositions, telles que celles relatives aux sommes versées à des bénéficiaires établis dans un pays à fiscalité privilégiée5, voire les mécanismes généraux anti-abus6, pourraient toutefois continuer à s’appliquer si les intérêts ne sont pas soumis à imposition effective.

A l’inverse, la réglementation anti-hybride s’appliquera désormais non seulement aux opérations impliquant directement une entreprise établie en France mais également les structures dans lesquelles une asymétrie de traitement fiscal existe en amont de la chaîne capitalistique ou contractuelle. Certains schémas de prêts «en miroir» ou «back-to-back» pourraient être particulièrement concernés (hybrides importés). En pratique, il sera ainsi nécessaire d’analyser le régime fiscal de l’ensemble des entités liées impliquées dans ce type d’opérations, ce qui pourrait se révéler d’une grande complexité.

Mécanismes de neutralisation des hybrides

Conformément aux directives ATAD, en présence d’un schéma hybride donnant lieu à une déduction sans imposition, l’Etat membre dont le débiteur est résident doit en principe refuser la déduction fiscale des sommes ainsi versées. Par exception, si la déduction n’est pas refusée par cet Etat, l’Etat membre dont le bénéficiaire est résident doit imposer les revenus correspondants. Si l’Etat dont le débiteur est résident est un Etat tiers à l’Union européenne, l’exception s’applique par principe.

S’agissant des doubles déductions, la France devrait refuser la déduction d’une charge (des revenus du débiteur établi en France ou de toute autre personne établie en France, autre que le débiteur, qui pourrait bénéficier d’une déduction) lorsque celle-ci a déjà donné lieu à déduction dans un autre Etat.

Prochaines étapes de la lutte anti-hybride

Il conviendra d’examiner l’impact de la transposition des directives ATAD sur les schémas transfrontaliers de financement et les contrats de licences et de prestations de services au regard de la rédaction définitive de la loi de finances pour 2020 ainsi que des commentaires qui seront publiés par l’administration fiscale au BOFiP.

Il conviendra également de prendre en compte les projets de modification des règles fiscales internationales actuellement en discussion. Ainsi, en novembre 2019, l’OCDE a publié la proposition GloBE7, qui envisage notamment l’introduction d’un mécanisme consistant à refuser une déduction fiscale ou à prélever une imposition à la source, au titre de certains paiements, à moins que ces paiements n’aient été soumis à imposition selon un taux minimum. Si cette réforme était adoptée, certains schémas exclus du champ des dispositifs anti-hybrides par le projet de loi de finances pour 2020 pourraient être à nouveau sanctionnés.

1. Base Erosion and Profit Shifting.

2. Directive ATAD (Anti-Tax Avoidance Directive) 1 n° 2016/1164 du 12 juillet 2016 et directive ATAD 2 n° 2017/952 du 29 mai 2017.

3. Le texte s’applique également entre un établissement et son siège et entre établissements. En cas de dispositif structuré, le texte s’applique quelles que soient les relations entre les entreprises en cause. Le dispositif structuré se définit comme un dispositif utilisant un dispositif hybride et dont les termes intègrent la valorisation de l’effet d’asymétrie ou un dispositif qui a été conçu en vue de générer les mêmes conséquences qu’un dispositif hybride.

4. Dispositif dans lequel une entité hybride est contrôlée, directement ou indirectement par une entreprise établie dans un Etat qui considère cette entité comme une personne imposable.

5. Article 238 A du Code général des impôts.

6. Article L. 64 du Livre des procédures fiscales, 205 A du Code général des impôts.

7. La proposition GloBE correspond au Pilier 2 du programme de travail visant à élaborer une solution fondée sur un consensus pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie, mais est susceptible de s’appliquer à l’ensemble des secteurs de l’économie. Voir article joint «GloBE, les contours de l’impôt global minimum en construction».


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It’s the end of the world as we know it !

Renaud Jouffroy et Guillaume Glon, PwC Société d’Avocats

«It’s the end of the world as we know it.» Le titre de cette chanson du groupe de rock américain REM sortie en 1987 pourrait opportunément être le thème d’une conférence dédiée à la fiscalité internationale tant le paysage a changé au cours des cinq dernières années et tant il changera au cours des mois et années à venir.

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