S’il est communément admis que la fiscalité peut être un puissant outil au service de l’environnement, sa mise en œuvre est complexe et la situation actuelle peu convaincante. Nous avons cherché à identifier dans la législation fiscale en vigueur, en matière d’impôts sur les bénéfices et de TVA, l’existence de mesures destinées à favoriser ou à freiner les comportements vertueux en matière immobilière, notamment en matière de restructurations ou de réaffectations d’immeubles. Le constat est décevant.
Immobilier durable et TVA
S’agissant tout d’abord de la TVA, la question de son influence sur les comportements est généralement ramenée à un enjeu de taux.
Il est vrai qu’il s’agit d’un impôt sur la consommation et que le taux peut orienter les agissements, à condition toutefois qu’il se répercute dans les prix, ce dont les études récentes sur les taux réduits permettent de douter.
L’incidence du taux de la TVA est en outre quasiment nulle pour les entreprises bénéficiant d’un droit à déduction. Pour celles-ci, le coût final est le montant hors taxe de la dépense et la taxe est donc indifférente.
Il est alors plus approprié d’examiner si les règles régissant la TVA incitent à limiter la consommation et à favoriser le recyclage. La réponse est globalement négative. Cette taxe paraît plutôt neutre dans les choix relatifs aux travaux de restructuration des immeubles.
Rien ne semble en effet réellement favoriser la conservation des éléments existants à l’occasion de travaux au regard de la TVA. La mise au rebut est dispensée de toute régularisation de la taxe antérieurement déduite et il n’est pas pénalisant (ni avantageux) de démolir plutôt que de conserver.
La même conclusion s’impose pour le choix des nouveaux matériaux, dont la charge de TVA est identique qu’ils soient issus du recyclage ou non.
L’ampleur et la nature des travaux ont toutefois une incidence forte, car elles peuvent emporter création d’un immeuble neuf, avec un régime de mutation très différent de celui d’un immeuble ancien.
Il est ainsi fréquent que les opérateurs immobiliers procédant à une restructuration prennent en compte ce critère et se trouvent incités à alourdir le programme de travaux en vue d’atteindre cette qualification en immeuble neuf. A cet égard, la TVA peut jouer un rôle contraire aux intérêts environnementaux.
Son importance doit néanmoins être relativisée, car les critères de qualification sont spécifiques et certains d’entre eux permettent de produire un immeuble neuf en réalisant des travaux relativement limités. Par exemple, des travaux portant uniquement sur des éléments de second-œuvre peuvent suffire.
La situation pourrait néanmoins être facilement améliorée dans des cas particuliers. Par exemple, dans son interprétation des dispositions légales, l’administration considère qu’il est nécessaire de procéder au démontage de la façade ancienne avant d’en remettre une neuve pour produire un immeuble neuf. Elle refuse de reconnaitre le même effet à des travaux d’isolation par l’extérieur, ce qui incite à des destructions fondamentalement inutiles.
Cela montre que la prise en compte des enjeux environnementaux dans les commentaires de l’administration fiscale pourrait, à elle seule, conduire à des résultats intéressants.
Si l’on mène le raisonnement à son terme, ce n’est pas réellement la TVA qui induit ce comportement, mais plutôt le régime des droits de mutation qui s’attache à la même qualification en immeuble neuf. La vente d’un immeuble ancien peut en effet être taxée à la TVA sur option du vendeur, conduisant à une situation comparable à celle d’un immeuble neuf. Les droits d’enregistrement sont en revanche très différents : les mutations d’immeubles anciens étant taxées à un taux plus élevé de plus de 5 %.
Immobilier durable et impôt sur les sociétés : absence de politique d’incitation pour les entreprises
En matière d’impôt sur les sociétés (et de bénéfices industriels et commerciaux), le constat peut être fait d’une absence objective à ce jour de politique d’incitation des entreprises à s’engager dans l’immobilier durable.
Il faut rappeler en effet que si le dispositif fiscal français contenait différents régimes d’amortissement exceptionnel, et donc de régimes incitatifs, ces derniers ont été soit expressément abrogés soit, d’une portée temporaire, non prorogés. On peut citer ainsi à titre d’exemples l’ancien 39 AB du Code général des impôts (CGI) qui permettait l’amortissement exceptionnel sur douze mois des matériels destinés à économiser l’énergie et des équipements de production d’énergies renouvelables acquis ou fabriqués avant le 1er janvier 2011 ou bien encore les anciens articles 39 quinquies E et 39 quinquies F du CGI qui prévoyaient (i) un amortissement exceptionnel ouvert aux entreprises qui construisaient ou faisaient construire des immeubles destinés à l’épuration des eaux industrielles, en conformité avec les dispositions de la loi 64-1245 du 16 décembre 1964 modifiée, (ii) un amortissement exceptionnel pour les entreprises qui construisaient ou faisaient construire des immeubles destinés à lutter contre la pollution atmosphérique, satisfaisant aux obligations prévues par la loi 61-842 du 2 août 1961 modifiée et par la loi 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie.
D’autres dispositifs existent certes mais ils sont soit réservés aux personnes physiques soit « transversaux » (voir en ce sens notamment la pratique des certificats d’économies d’énergie).
Rien ne favorise ainsi le choix que pourrait faire une entreprise d’engager des travaux d’amélioration par exemple des sols.
En effet si le coût des travaux d’agencement et d’aménagement de terrain constitue généralement un élément du coût de revient d’une immobilisation (il est ainsi incorporé au coût d’origine des constructions et peut donc être déduit par voie d’amortissement lorsque les travaux en cause s’apparentent à des opérations de construction ou constituent des aménagements indissociables des travaux de fondation d’un bâtiment (CE 30-4-1975 n° 93770)), il en va différemment des dépenses ayant pour objet la modification de la conformation d›un terrain sans lien avec une opération de construction qui s’incorporent alors au prix de revient du terrain et ne bénéficient d’aucune régime de déductibilité spécifique . Tel est le cas par exemple des travaux forestiers qui apportent une amélioration permanente aux sols ou bien encore des dépenses correspondant à l’aménagement de talus ou de remblais, qui ne sont donc pas amortissables.
De la même façon, les coûts de démantèlement qui s’entendent des frais à supporter pour la remise en état d’un site, la dépollution ou la déconstruction d’une usine, ou encore l’enlèvement de déchets qui incombent à certaines entreprises en raison de leur activité et d’obligations législatives, réglementaires ou contractuelles, ne peuvent être provisionnés en franchise d’impôt, l’article 39 ter C du CGI, prévoyant ainsi que la provision constituée pour couvrir ces coûts de démantèlement n’est pas déductible mais donne lieu à la constitution d’un actif, qui sera alors uniquement amorti sur la durée d’utilisation de l’immobilisation concernée.
Enfin les règles fiscales ne contiennent aucune mesure de nature à privilégier ou pénaliser les entreprises dans leurs choix de restructurer des immeubles existants plutôt que de les détruire pour les reconstruire puisque (i) lorsqu’un immeuble a été spécialement acquis en vue d’être démoli et remplacé par une construction nouvelle, au motif que l’achat et la démolition constituant deux éléments d’un projet unique, le prix d’achat de l’immeuble détruit et les frais de démolition constituent alors un élément du prix de revient du nouvel ensemble immobilier (ii) lorsque l’immeuble démoli figurait précédemment à l›actif de l’entreprise, la valeur comptable résiduelle du bâtiment détruit constitue, selon le Conseil d’Etat qui a au demeurant infirmé la doctrine administrative, une perte déductible des résultats imposables, CE 16-6-1999 n° 177954, 9e et 8e s.-s., min. c/ Parmentier.