Par Romain Boyet, avocat counsel en corporate/fusions & acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupe de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers.
Et Célia Mayran, avocat en corporate/fusions & acquisitions. Elle intervient dans le cadre d’opérations de fusion-acquisition de sociétés, de capital-investissement et de private equity, tant nationales qu’internationales, pour le compte d’industriels, de fonds d’investissement et de managers.
Lors de la cession de jeunes sociétés innovantes, il est souvent difficile de valoriser avec précision les titres des entreprises concernées. En effet, si la valeur d’une société repose habituellement sur des éléments objectifs (valeur d’actif net, multiple de chiffre d’affaires, etc.), il est plus difficile de valoriser de manière exacte le potentiel de croissance d’entreprises promettant un développement futur (quasi) certain. La détermination de la valeur des titres de ce type de sociétés constitue alors un des enjeux majeurs de discussion entre les parties.
La question se pose dans ce contexte de savoir s’il convient de valoriser la société à sa valeur objective au jour de la cession (sur la base des éléments comptables disponibles) ou, à l’inverse, s’il faut anticiper la valeur qu’elle pourra avoir dans les mois ou années qui suivront cette cession en prenant en compte dans sa valorisation un tel potentiel de développement.
La clause dite « d’earn out » (clause de « complément de prix » dans la langue de Molière) permet de prendre en compte dans une certaine mesure ces perspectives de croissance encore incertaines à la date de la cession.
L’utilité des clauses d’earn-out dans les opérations de cession de sociétés innovantes
Avec ce mécanisme, un prix plancher (généralement minoré par rapport à la valeur réelle de la société) est payé par l’acquéreur au vendeur au jour de la cession et l’acquéreur et le vendeur conviennent par ailleurs qu’une partie du prix des titres sera déterminée en fonction des résultats futurs de la société cédée, postérieurement à la cession.
Ce mécanisme permet ainsi (i) à l’acquéreur de ne payer un ou plusieurs complément(s) de prix que si les résultats de la société acquise sont ceux qu’il pouvait espérer et (ii) au vendeur de capitaliser la création future de valeur de la société cédée et de maximiser ainsi son prix de cession.
La nécessité d’encadrer strictement la rédaction des clauses d’earn-out
La clause d’earn-out fait toutefois naître des risques de discussions futures dans sa mise en œuvre. Sa rédaction doit ainsi être très précise, notamment en ce qui concerne les modalités de calcul de l’earn-out (détermination du périmètre de référence, principes comptables applicables, etc.), l’objectif étant de laisser le moins de place possible à l’interprétation. Il est toutefois recommandé de faire intervenir un expert en cas de désaccord entre les parties quant à l’application de cette clause et d’éviter un risque d’indétermination du prix de cession.
La clause doit également définir clairement l’aléa sur le fondement duquel le complément pourra être versé, l’atteinte ou non du seuil de déclenchement de l’earn-out ne pouvant pas dépendre d’une condition relevant uniquement de la volonté d’une des parties, à défaut de quoi la nullité de la clause pourrait être encourue eu égard à sa potestativité.
Par ailleurs, la question du maintien ou non du vendeur dans la société jusqu’à la date de détermination de l’atteinte ou non des objectifs de croissance donnant droit à la perception du complément de prix est essentielle. Il convient en particulier de prévoir dans le contrat de cession quelles seront les modalités d’accompagnement du vendeur, quels seront ses pouvoirs quant à la gestion de la société pendant cette période et quelle sera la durée de son accompagnement.
En pratique, si l’acquéreur souhaite conserver une large marge de manœuvre sur la gestion de l’entreprise qu’il vient d’acquérir, le vendeur devra essayer quant à lui de se protéger au mieux des décisions de gestion de l’acquéreur qui pourraient impacter sa perception du complément de prix. Il pourra également rechercher une rentabilité immédiate de la société et non durable pouvant, à terme, fragiliser la bonne gestion de la société, ce que l’acquéreur pourra difficilement accepter.
Si l’utilisation de l’earn-out apparaît à première vue une solution idéale pour valoriser les sociétés à fort potentiel, il apparait prudent, au regard de ces différents risques, de n’utiliser ces clauses qu’avec parcimonie et de strictement veiller à encadrer leur rédaction contractuelle.