Si le cadre législatif en matière de RSE est en cours de mutation vers un ensemble plus contraignant, la pratique s’est emparée du sujet et va pour le moment beaucoup plus loin que ce que la loi lui impose à date. On voit ainsi se développer de nombreuses initiatives volontaires conduisant les investisseurs/prêteurs à exiger des entreprises qu’ils financent des engagements de plus en plus forts en matière de RSE. La trajectoire du marché conduit à anticiper dans les années à venir une montée en puissance de ces exigences dont on peut penser qu’elles donneront prochainement lieu à des engagements importants et assortis de sanctions significatives.
Par Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity, pour le compte de fonds d’investissement, de groupes et d’entrepreneurs.
Benoît Gomel, avocat counsel en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient dans le cadre d’opérations de fusion-acquisition de sociétés, de capital-investissement, de restructuration et de private equity.
benoit.gomel@cms-fl.com
Et Alexandre Chazot, avocat en droit bancaire et financier. Il intervient notamment dans le cadre d’opérations de financement structurés, tant en France qu’à l’étranger.
alexandre.chazot@cms-fl.com
Les obligations légales en matière de RSE
La loi impose un reporting annuel pour les sociétés de taille significative (y compris donc toutes les banques) sur leur situation en matière de RSE. Les thèmes de cette communication sont fixés par le législateur sans que ce dernier n’impose toutefois la manière dont ils doivent être traités. Par ailleurs, la loi n’oblige que rarement à des engagements précis et assortis de sanctions significatives aux entreprises en matière de RSE hors des conséquences éventuelles du droit commun. Le traitement légal est ainsi en cours de mutation vers un ensemble de plus en plus contraignant, ce qui nous semble devoir être anticipé par le marché.
Le développement accéléré d’initiatives volontaires en matière de RSE
Si la loi n’impose pas encore d’engagements très significatifs en matière de RSE, force est de constater que ces enjeux sont maintenant devenus cruciaux en termes d’image, de communication et de recrutement. Il en résulte un nombre considérable d’initiatives volontaires par les acteurs de l’économie, dont certains vont de leur propre initiative beaucoup plus loin que ce que la loi impose.
L’on voit ainsi de nombreuses entreprises prendre des initiatives fortes pour améliorer leur empreinte environnementale ou adopter de bonnes pratiques sociétales. L’objet n’est pas ici d’en détailler les raisons ni les rouages mais simplement de constater que le monde économique est largement en avance sur le cadre législatif en matière de RSE.
L’émergence d’acteurs éco-responsables
On voit apparaitre des fonds éco-responsables dont la stratégie est d’investir exclusivement dans des entreprises dites responsables, que ce soit en matière environnementale ou sociétale. Le mouvement dans ce sens est massif, la majorité des banques et de nombreuses sociétés de gestion s’étant dotées ces dernières années de fonds éco-responsables. Le monde des prêteurs n’est pas en reste, avec l’émergence de la finance responsable et notamment des green bonds ou des green loans. Ces opérations de financement (via emprunt obligataire ou prêt bancaire), qui doivent répondre à certaines caractéristiques, ont pour objet de financer des projets spécifiques liés aux questions de l’environnement et à la transition écologique.
L’importance croissante de la RSE dans les opérations de fusion-acquisition
Au niveau des politiques d’investissement en amont des transactions
Indépendamment de l’émergence d’acteurs dédiés, les enjeux de RSE prennent une place croissante dans les critères (notamment ESG) examinés par les investisseurs afin de décider le lancement ou non d’une opération d’investissement. Si l’on ne voit pas encore réellement d’audits spécifiques en matière de RSE (même si certains thèmes sont examinés lors des audits usuels), de plus en plus d’investisseurs communiquent aux cibles qu’ils examinent un questionnaire RSE dont le contenu fait partie des éléments examinés lors de la décision d’investir.
Un certain nombre d’acteurs financiers comme des fonds commencent par ailleurs à introduire dans leurs politiques d’investissement des lignes rouges liées à des enjeux de RSE. En d’autres termes, des entreprises présentant un très mauvais bilan RSE pourraient rencontrer des difficultés croissantes à se financer aussi bien en dette qu’en equity/quasi equity sauf à se voir imposer des engagements très significatifs et concrets destinés à améliorer leur situation en matière de RSE.
Cette situation devrait être appelée à se renforcer encore avec le développement de la finance verte et des acteurs éco-responsables évoqués plus haut.
Lors de la réalisation des opérations
La plupart des investisseurs financiers et de plus en plus d’investisseurs industriels exigent maintenant de façon standard l’insertion dans les pactes d’associés de clauses mettant à la charge de la cible et de son management la réalisation d’engagements en matière de RSE. Ces clauses sont souvent générales et ne prévoient pas, dans la plupart des cas, de sanctions autres que l’engagement de la responsabilité contractuelle de la cible et de son management. Nous n’avons pas connaissance de litiges sur le fondement de ce type de clauses. En substance, il nous semble ainsi que pour le moment l’effet de ces clauses se rapproche plutôt de la soft law.
Ceci dit, un certain nombre d’investisseurs sont en train de faire évoluer leurs pratiques en matière de RSE, en demandant par exemple la remise par la cible de rapports périodiques et/ou une discussion périodique par le board des entreprises dans lesquelles ils investissent de la situation RSE et de l’exécution des engagements demandés. Si cela reste de la soft law, la pression semble s’accentuer sur les groupes pour monter en puissance sur les enjeux de RSE.
Sur le front fiscal, les impulsions les plus impactantes sont venues de l’Union européenne : comme avec l’exigence de transparence portée par la directive DAC6 qui oblige les parties à une transaction transfrontière (y compris le cas échéant les banques et les conseils) à déclarer les schémas potentiellement « agressifs » sur le plan fiscal ; et aussi la Directive « anti-hybrides » ATAD 2 contraignant les opérateurs financiers (notamment les fonds de Private Equity) à veiller sur le régime fiscal de leurs investisseurs.
L’importance croissante de la RSE dans les opérations de financement
Une volonté de répondre aux demandes des investisseurs
En conséquence, la RSE tient désormais également une place majeure auprès du marché et des acteurs (banques, fonds de dette, investisseurs) du financement. Ses critères d’appréciation sont scrutés avec attention dans les analyses de crédit, notamment dans les financements avec effet de levier. Il existe cependant encore peu de clauses spécifiques sur ces sujets dans les documentations de financement (contrat de crédits, contrat d’émission, etc.). Le plus souvent, la question RSE est traitée de manière générale dans les déclarations, garanties et engagements effectués par l’emprunteur ou l’émetteur. Afin de répondre aux attentes des investisseurs sur ce sujet, la Loan Market Association (LMA) émet régulièrement des publications destinées à cadrer la prise en compte de la RSE dans l’étude, la mise en place et l’exécution du financement.
Vers un renforcement des engagements en termes de RSE dans la documentation de financement
Les engagements des investisseurs et des emprunteurs sur la RSE devraient donc continuer à se renforcer. Cependant, les banques et les fonds de dette plaident toujours pour le maintien d’un certain équilibre entre l’émergence de nouvelles clauses contractuelles contraignantes, notamment au regard de la société cible de l’acquisition, et l’importance de ne pas créer d’obligations trop lourdes ou onéreuses pour l’emprunteur ou l’émetteur. Une plus grande transparence et la transmission accrue d’informations, tant en amont que lors de la phase d’exécution du financement, semblent pour l’instant être un outil privilégié. Par exemple, lors de la phase d’audit d’une opération d’acquisition devant être financée, l’ensemble des difficultés liées à la RSE relevées lors de la phase de due diligence ont désormais vocation à être incorporées à l’Offering Memorandum, au même titre que les points d’alerte purement financiers ou juridiques. Les investisseurs sont également de plus en plus exigeants concernant l’étude des KPis (outils destinés à mesurer et comparer les facteurs ESG), ce qui devrait continuer à se traduire par l’émergence de nouvelles obligations sur ce point au sein des contrats de financement.