Plusieurs décisions des juges du fond prononcées ces derniers mois illustrent les importantes difficultés pouvant affecter la conduite des procédures de consultation afférentes à des processus de cession d’entreprise. Qualité de l’information, obligations pesant sur les différentes parties prenantes, formalisme des réunions notamment peuvent être au centre des différends au risque de différer le bon achèvement des opérations de cession.
Par Pierre Bonneau, avocat associé en droit du travail et protection sociale. Il est notamment le conseil de plusieurs établissements bancaires et financiers et intervient régulièrement sur des opérations de rapprochement ou de cession d’entreprises.
Deux récentes opérations de cession ont donné lieu à des contentieux sur la consultation du comité social et économique (CSE) qui offrent un éclairage intéressant sur les obligations en la matière.
La première de ces opérations, déjà évoquée dans ces colonnes, concerne le projet d’acquisition de Suez par Veolia. Le contentieux social nourri afférent à cette opération a finalement abouti – juste après l’accord mettant fin aux hostilités dans ce dossier – à un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (1) riche d’enseignements.
Plusieurs questions importantes ont effet été tranchées par les juges à l’occasion de cette opération qui comportait deux phases : une prise de participation minoritaire de Suez par Veolia (soit l’acquisition de 29,9 % des actions de Suez détenues par Engie) puis, dans un second temps, une O.P.A..
Une consultation du CSE préalable à l’O.P.A.
Pour concilier les obligations légales de consultation du CSE avec le droit boursier, le Code du travail déroge au caractère préalable de la procédure de consultation en prévoyant son engagement dans les trois jours suivant le dépôt de l’offre publique (2).
Pour la Cour, cette consultation spécifique n’est pas exclusive d’une autre consultation en amont du dépôt de l’offre, dès lors pour reprendre les termes d’une jurisprudence bien établie (3), que l’on se trouve en présence d’ « un projet, même formulé en termes généraux, dont l’objet est suffisamment déterminé pour que son adoption ait une incidence sur l’organisation et la marche générale de l’entreprise ». Et la Cour de considérer :
– que les déclarations à la presse de Veolia sur cette opération en amont du dépôt de l’O.P.A. établissaient un tel projet ;
– et que, bien que s’agissant d’une prise de participation minoritaire, celle-ci conduisait Veolia à devenir l’actionnaire principal ou de contrôle de Suez.
Si ce raisonnement conduit à vider de sa substance l’intérêt de la seconde consultation sur l’O.P.A., plus discutable surtout est la conséquence qu’en tirent les juges quant aux débiteurs d’une telle obligation consultative.
Une obligation consultative de la cible non partie prenante au projet
Selon la Cour, le fait « que la décision [d’acquérir Suez] provienne d’un tiers [Veolia] n’est pas un obstacle de principe » à l’obligation consultative des CSE de SUEZ, le Code du travail « n’imposant pas que l’employeur, chargé de la mise en œuvre de l’information-consultation, soit l’auteur du projet donnant lieu à celle-ci ».
Les juges font ainsi primer l’objet de la consultation sur la qualité des décisionnaires, au risque, d’une part, de la priver d’effet utile et, d’autre part, de conduire à des situations inextricables lorsque - comme c’était ici le cas - l’employeur s’oppose au projet sur lequel il doit consulter son CSE.
Sanction de la politique de la chaise vide du CSE
La seconde décision intéressante concerne la consultation intervenue à l’occasion de la cession d’un groupe de presse. Ainsi, le CSE de la société cible avait engagé une action judiciaire en vue d’obtenir des informations complémentaires et une prorogation du délai de consultation. L’employeur avait néanmoins poursuivi la procédure et réuni le CSE afin de lui demander de rendre son avis.
Au moment du vote, les élus majoritaires ont quitté la réunion et laissé l’employeur avec une minorité d’élus qui a accepté de voter.
Pour le tribunal judiciaire de Nanterre (4), « aucun quorum n’étant fixé pour l’adoption d’un avis du CSE, la délibération prise par les membres restés présents est régulière ». Partant, les demandes de communication d’informations et de prorogation du délai de consultation ont été jugées sans objet. Cette décision témoigne donc des importants effets des délibérations du CSE notamment à l’occasion de ce type d’opération.
1. CA Versailles, 15 avril 2021, n°20/09953.
2. Art. L2323-37 du Code du travail.
3. Cass. Soc. 12 novembre 1997, n° 96-12.314.
4. TJ Nanterre, 7 mai 2021, n°21/00826. Dans le même sens : Cass. Soc.30 novembre 2009,
n° 07-20.525.