La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2019

Revenus des sociétés KG de droit allemand : la fin de la double taxation ?

Publié le 14 juin 2019 à 11h00    Mis à jour le 14 juin 2019 à 16h04

Eve Castex, PwC Société d’Avocats

Le régime fiscal des sociétés de personnes se caractérise par le fait que le revenu réalisé par celle-ci est imposé au niveau de ses associés à hauteur de leur participation dans la société.

Par Eve Castex, avocat, PwC Société d’Avocats

La fiscalité des sociétés de personnes dans l’ordre international est complexe à deux titres : d’une part, parce que tous les Etats n’ont pas la même appréciation juridique de ces entités, et d’autre part, parce que les conventions fiscales internationales visent exceptionnellement le cas des sociétés de personnes. La convention fiscale franco-allemande qui vise la société transparente de droit allemand Kommanditgesellschaft (ci-après «KG») fait figure d’exception.

Les KG présentent des caractéristiques comparables à celles des sociétés en commandite simple (ci-après «SCS») françaises puisqu’elles comprennent deux types d’associés, les commandités, associés solidairement et indéfiniment responsables, et les commanditaires, responsables à hauteur de leurs apports.

Les revenus réalisés par les KG sont taxables en Allemagne (sauf établissement stable en France) entre les mains de leurs associés quel que soit leur statut.

L’administration fiscale française considère depuis de nombreuses années que les revenus réalisés par une KG sont, lors de leur attribution aux associés commanditaires français, assimilables à des distributions, devant supporter une taxation sur la quote-part de frais et charges sur dividendes.

Pour arriver à cette conclusion, son raisonnement se décompose en deux temps. Tout d’abord, elle assimile juridiquement la KG à une société en commandite simple avec deux types d’associés, les commandités et les commanditaires, et applique ainsi l’article 120-2 du Code général des impôts qui traite le revenu appréhendé par l’associé commanditaire comme un revenu de capitaux mobiliers.

Ensuite, elle procède à une analyse subjective de la convention fiscale franco-allemande en écartant, d’une part, l’article 4.3 de la convention qui dispose que «les participations d’un associé aux bénéfices d’une entreprise constituée sous forme (…) de société en commandite simple [Kommanditgesellschaft] (…) ne sont imposables que dans l’Etat où l’entreprise en question a un établissement stable» car les «participations des associés aux bénéfices» ne viseraient pas les produits issus de ces participations mais l’imposition des bénéfices seuls et d’autre part, l’article 9 sur les dividendes puisqu’il définit strictement les dividendes. Elle en conclut que seul l’article 18 ou «clause balai», qui prévoit une imposition dans l’Etat contractant dont le bénéficiaire de ces revenus est résident, est applicable.

On ne peut que déplorer cette interprétation de la convention fiscale allemande qui ignore les spécificités tant juridiques que fiscales des KG.

Sur le plan juridique, les KG présentent certes des points communs avec les SCS françaises comme indiqué ci-dessus. Cependant en droit allemand, contrairement au régime juridique d’une SCS de droit français, les commandités ne sont pas tenus de détenir une participation au capital de la KG et dans la majorité des cas, les statuts prévoient que le commandité ne contribue pas au capital et ne perçoit pas de participations aux résultats de la KG. L’assimilation de la KG à une SCS, sur le plan juridique, n’est donc pas parfaite.

Par ailleurs, sur le plan fiscal allemand, cette société est, à la différence des SCS françaises, transparente fiscalement aussi bien pour la quote-part dans les bénéfices revenant aux commandités que pour celle revenant aux commanditaires. Le principe de transparence fiscale s’applique pleinement aux KG, peu importe la qualité des associés. Les revenus d’une KG sont imposables directement entre les mains des associés, peu importe qu’ils aient ou non été distribués.

Le régime fiscal des sociétés de personnes se caractérise par le fait que leurs bénéfices ne sont pas imposables à leur niveau mais au nom de leurs associés, à hauteur de leur participation. Il n’y a donc pas deux faits générateurs d’imposition : la réalisation du revenu et la distribution (juridique) de ce revenu. A défaut, l’associé serait doublement imposé à son niveau à raison du même revenu : une fois lors de sa réalisation et une deuxième fois, lors de son appréhension.

Comment interpréter la notion de «participation d’un associé» mentionnée à l’article 4.3 de la convention franco-allemande ? Elle ne peut que viser la participation aux résultats de la société de personnes. Comment justifier une distinction entre la participation correspondant aux droits des associés commanditaires dans les bénéfices réalisés par une KG et la distribution de ces bénéfices à ces mêmes commanditaires, dès lors que le droit allemand ne reconnaît pas la distribution, compte tenu de la transparence fiscale ?

L’article 4.3 de la convention franco-allemande fait donc, à lui seul, obstacle à l’application de l’article 120, 2° du Code général des impôts. Le droit d’imposer les bénéfices, qu’ils soient répartis ou non entre les associés d’une KG, devrait être exclusivement attribué à l’Allemagne.

Le tribunal administratif de Montreuil a par trois fois confirmé cette lecture des dispositions conventionnelles et la cour administrative d’appel de Versailles1 s’est prononcée dans le même sens, dans une décision rendue le 12 mars 2019, concluant ainsi à la taxation exclusive de ces revenus en Allemagne sur le fondement de l’article 4.3 précité.

Même si cette lecture s’impose, l’administration fiscale ne semble pas vouloir en rester là et vient de déposer un pourvoi devant le Conseil d’Etat contre cette décision.

La position du Conseil d’Etat est donc fortement attendue pour mettre fin à cette insécurité juridique.

1. Cour administrative d’appel de Versailles, 12 mars 2019, n° 17VE00724.


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