La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2019

La précarité de la fiscalité digitale

Publié le 14 juin 2019 à 11h00    Mis à jour le 14 juin 2019 à 16h04

Michel Combe, PwC Société d’Avocats

Alors même que le Sénat vient d’adopter la taxe sur les services numériques dite taxe GAFA ou taxe sur les services numériques, nous nous proposons de revenir sur le caractère précaire de cette nouvelle imposition.

Par Michel Combe, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Cette taxe vise les entreprises qui ont un chiffre d’affaires mondial au titre de leurs activités numériques de plus de 750 millions d’euros, dont 25 millions d’euros sont rattachables à des utilisateurs localisés en France. L’assiette de la taxe est double : les services d’intermédiation et la publicité ciblée, ce qui inclut la vente de données à des fins publicitaires. De fait, seules les plateformes de marché – ou marketplaces – sont assujetties à la taxe. Ainsi, les ventes en ligne effectuées par une plateforme pour son compte propre n’entrent donc pas dans le champ de la taxe. Cette taxe n’est pas une taxe aussi large que l’on pourrait le penser et ne couvre donc pas tous les revenus ou profits de l’économie numérique.

Au plan pratique, notons que le chiffre d’affaires rattaché à la France ne correspond à aucun agrégat comptable connu à ce jour. L’assiette de la taxe est définie en deux temps : la territorialité du service puis la territorialité du revenu. C’est un revenu estimé au moyen d’une clé de répartition, correspondant à la part des utilisateurs localisés en France dans le total des utilisateurs mondiaux du service qui est à la base de cette imposition. Ce pourcentage est alors appliqué au total du chiffre d’affaires mondial pour déterminer l’assiette imposable.

Si par définition la bonne foi des contribuables ne peut être mise en cause, à la lecture de cette assiette, en cas de contrôle fiscal, l’administration française devra s’appuyer sur les déclarations des entreprises et sur les échanges d’informations avec les autorités fiscales des Etats de résidence desdites entreprises pour valider l’assiette ainsi déclarée.

Cette taxe est précaire à deux titres. Précaire, car elle est censée disparaître dès lors qu’un consensus international aura été atteint pour la mise en place d’une solution coordonnée au sein de l’OCDE conduisant à la mise en place de normes internationales partagées permettant d’imposer de manière coordonnée et équitable les profits provenant des activités numériques. A la lecture des déclarations des acteurs clés que sont l’OCDE ou certains Etats comme l’Allemagne, ce consensus international pourrait enfin être atteint au cours de l’année 2020. Alors pourquoi créer une nouvelle imposition pour un temps aussi limité ?

Cette taxe française est aussi précaire par ses faiblesses intrinsèques, précarité que l’on peut illustrer autour de deux séries de questions : est-ce que cette taxe est conforme au droit de l’Union européenne ? Est-ce que cette taxe est conforme aux engagements internationaux de la France ?

Une première question est relative à sa compatibilité au regard des aides d’Etat en ce que la taxe ne concerne que les plus grandes entreprises et donc exonère les plus petites entreprises. Est-ce que cette apparente rupture d’égalité peut être constitutive d’une aide d’Etat, qui à défaut de notification préalable auprès de la Commission européenne est sanctionnable ?

Une seconde question est liée à la liberté d’établissement. Cette taxe aura pour effet d’imposer très majoritairement des entreprises qui selon le Gouvernement ne sont pas établies en France. Est-ce que cette apparente inégalité peut être analysée comme constitutive d’une restriction à la liberté d’établissement ?

Une troisième question est bien entendu liée à l’assiette de cette taxe. Est-ce que cette taxe pourrait être qualifiée de taxe assise sur le chiffre d’affaires et donc être incompatible avec l’interdiction européenne faite à chaque Etat membre de créer de nouvelles taxes ayant le caractère de taxe assise sur le chiffre d’affaires ?

L’incertitude juridique se poursuit si l’on envisage la taxe sur les services numériques au regard de la fiscalité directe et en particulier au regard des conventions fiscales, dont cette taxe tend à corriger les faiblesses, à commencer par le fait que cette taxe permet d’imposer les entreprises étrangères qui ne disposent pas en France d’un établissement stable là où lesdites conventions en font une condition essentielle. Par ailleurs, lesdites conventions ne permettent-elles pas une imposition desdits établissements stables qu’à concurrence des profits liés aux activités conduites en France, et non sur une base forfaitaire déconnectée de la réalité économique et fiscale ? Est-ce que le seul fait que son assiette soit le revenu et non le résultat d’activités numériques rattachables à la France suffit à protéger cette taxe des critiques des entreprises résidentes d’Etats ayant conclu des conventions de non double imposition avec la France ?

En conclusion, cette taxe comporte, au-delà de difficultés de mise en œuvre pour les contribuables, des incertitudes majeures, sources probables de contentieux, confirmant la précarité intrinsèque de cette imposition.


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