Le Conseil d’Etat vient de juger que le régime dérogatoire de translucidité s’applique à une société civile de construction-vente qui «ne limite pas son objet social à la construction-vente, mais qui n’exerce en pratique que cette activité»1 (CE, 18 mars 2019, n° 411640).
Par Sophie Girelli, avocat en fiscalité. Elle intervient en matière de fiscalité immobilière, des entreprises et des organismes non lucratifs. sophie.girelli@cms-fl.com
Rappelons qu’un régime dérogatoire (prévu à l’article 239 ter du Code général des impôts) est applicable, sous certaines conditions, aux sociétés civiles ayant «pour objet la construction d’immeubles en vue de la vente». Elles échappent alors à l’impôt sur les sociétés (normalement applicable aux sociétés civiles exerçant une activité fiscalement commerciale, telle la construction-vente) et relèvent d’un régime de translucidité : ce sont les associés qui sont imposés sur les profits réalisés par la société (à proportion de leurs droits) suivant le régime fiscal qui leur est propre (impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu).
Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, était en cause une société civile qui avait édifié une construction comportant 26 logements qu’elle avait ensuite vendus. A la suite d’un contrôle fiscal, l’Administration a rectifié les résultats de la société et a assujetti ses associés à des suppléments d’impôt sur le revenu (dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux). Pour contester ces impositions, les associés soutenaient que la société aurait dû être assujettie à l’impôt sur les sociétés puisque son objet social n’était pas limité à la construction-vente.
Mais, contrairement à la cour administrative d’appel de Versailles, le Conseil d’Etat a refusé de subordonner l’application du régime dérogatoire à une condition d’exclusivité de l’objet social, qui ne doit donc pas nécessairement être limité à la construction-vente.
Une certaine souplesse est ainsi laissée aux sociétés civiles de construction-vente pour la rédaction de leur objet social (leur permettant ainsi d’élargir leur activité sans avoir à le modifier), ce qui n’exclue pas d’être prudent.
Si l’ajout d’activités autres que celle de construction-vente n’est pas rédhibitoire, la référence expresse à l’activité de construction d’immeubles en vue de leur vente reste clairement une condition d’application du régime dérogatoire.
Le Conseil d’Etat a déjà jugé qu’une société civile qui ne s’était effectivement livrée qu’à des opérations de construction-vente était exclue du régime spécial car son objet social ne comportait pas la construction d’immeubles en vue de la vente (CE, 24 février 1988, n° 59762).
Quant aux autres activités susceptibles d’être mentionnées dans l’objet social, il faudra veiller à ce que leur exercice effectif ne fasse pas basculer la société dans le champ de l’impôt sur les sociétés.
L’activité de construction-vente est en effet la seule activité fiscalement commerciale qui peut être exercée de manière autonome par les sociétés civiles de construction-vente sans remettre en cause l’application du régime dérogatoire. Les autres actes commerciaux (tels que des achats-reventes d’immeubles) ne sont tolérés que s’ils peuvent être regardés comme nécessaires à l’activité de construction-vente et donc comme accessoires à celle-ci. Rien ne s’oppose, en revanche, à ce que la société exerce des opérations purement civiles du point de vue fiscal (telles que la location nue d’immeubles).
Car, au-delà de l’objet social, ce sont bien les opérations effectivement réalisées par la société qui vont déterminer son régime d’imposition, lequel pourra donc varier d’un exercice à l’autre (ce qui n’est pas sans conséquence).
1. Selon les termes de Madame Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public