Il aura suffi de quelques mois de tractations discrètes pour remplacer la doyenne des conventions fiscales conclues le 1er avril 1958 par la France et toujours en vigueur. La «vieille dame» aura pourtant été de nombreuses fois amendée afin de corriger les largesses accordées du fait de son grand âge, notamment au secteur immobilier.
Par Sandra Aron, avocat associée, PwC Société d’Avocats et Sébastien Delenclos, avocat, PwC Société d’Avocats
Place au neuf ! La convention n’est (bientôt) plus, une nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg a été signée le 20 mars 2018 et pourrait prendre effet au plus tôt le 1er janvier 2019.
Nous développerons ci-après les principales dispositions de la nouvelle convention impactant plus particulièrement l’industrie immobilière.
Une nouvelle définition de la résidence fiscale (art. 4)
L’ancienne rédaction de la convention franco-luxembourgeoise n’était pas conforme à la définition donnée par le modèle OCDE en ce qu’elle ne prévoyait pas de condition d’assujettissement à l’impôt pour conférer la qualité de résident.
Au regard des dispositions de la nouvelle convention, un résident est une personne qui, en vertu de la législation d’un Etat contractant, est assujettie à l’impôt dans cet Etat contractant en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de son lieu d’exploitation.
Par voie de conséquence, les entités exonérées d’impôt sur les sociétés, telles que les OPCI, SICAV et FCP, ne pourront pas bénéficier de l’application des dispositions de la convention. Il devrait en être de même pour les SIIC sur les distributions prélevées de leur secteur exonéré.
Toutefois, la nouvelle convention prévoit que certains véhicules d’investissement collectif peuvent bénéficier des dispositions conventionnelles relatives aux dividendes ou aux intérêts notamment.
En effet, le paragraphe 2 du protocole annexé à la nouvelle convention admet que les OPC établis en France ou au Luxembourg et qui sont assimilés (selon la législation de l’autre Etat contractant) à ses propres OPC pourront bénéficier des avantages de l’article 10 (dividendes) et 11 (intérêts) de la convention.
Cet avantage est toutefois conditionné à la fraction des revenus de l’OPC correspondant aux droits détenus par des personnes résidentes de l’un ou de l’autre des Etats contractants ou par des personnes résidentes de tout autre Etat avec lequel l’Etat contractant d’où proviennent les dividendes ou intérêts a conclu une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
L’impact effectif de cette mesure devrait être limité dans la mesure où les OPC bénéficient généralement d’une exonération totale de retenue à la source sur les intérêts et les dividendes suite à l’arrêt Santander de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 10 mai 2012 (CJUE, 3e ch., C-338/11).
Une définition extensive de la notion de dividendes (art. 10)
La nouvelle convention introduit une définition élargie de la notion de «dividendes».
Désormais, est qualifié de dividende tout revenu soumis au régime des dividendes dans l’Etat de résidence de la société distributrice.
En conséquence, les revenus réputés distribués et les bonis de liquidation entreront pleinement dans le champ de la notion de dividendes prévue par la convention. Une attention toute particulière devra donc être portée à la justification du taux d’intérêt pratiqué sur les prêts accordés par une société liée luxembourgeoise. La charge non déductible, en application de l’article 39,1 3° du code général des impôts (CGI), pourra être considérée comme revenu réputé distribué et être ainsi potentiellement soumise à retenue à la source.
De plus, une exonération totale de retenue à la source est instaurée si le bénéficiaire effectif est une société qui détient directement au moins 5 % du capital de la société distributrice pendant une période de 365 jours. Ce régime d’exonération est plus favorable que le régime prévu par l’article 119 ter du CGI. D’ailleurs, il reprend, à l’identique, les dispositions de l’article 8 de la convention multilatérale (MLI) signée le 7 juin 2017 qui entrera en vigueur le 1er juillet 2018 après ratification par la Slovénie et qui pourrait prendre effet en France au plus tôt le 1er janvier 2019, suite au dépôt du projet de loi portant ratification du dispositif le 17 janvier 2018.
Situation spécifique des distributions par des véhicules d’investissements immobiliers (art. 10)
La nouvelle convention prévoit un taux réduit de retenue à la source de 15 % pour les dividendes versés à partir de revenus ou de gains tirés de biens immobiliers :
• par un véhicule d’investissement qui distribue la plus grande partie de ces revenus annuellement, et dont les revenus ou les gains tirés de ces biens immobiliers sont exonérés d’impôts ;
• à un bénéficiaire qui détient directement ou indirectement moins de 10 % de la société distributrice.
Dans le cas où le bénéficiaire, personne morale, détiendrait directement ou indirectement plus de 10 % du capital d’une SIIC ou SPPICAV, les dividendes seront soumis à la retenue à la source de droit commun au taux de 30 %, taux qui diminuera avec la baisse de l’impôt sur les sociétés à partir de 2020 pour atteindre 25 % en 2022, sauf si le bénéficiaire est un organisme de placement collectif de droit étranger comparable à un fonds français, auquel cas un taux de 15 % trouverait à s’appliquer conformément aux dispositions de droit interne (art. 119 bis 2 du CGI).
L’autre dommage collatéral de la nouvelle convention est l’imposition des dividendes versés par les SIIC ou SPPICAV au Luxembourg dans la mesure où ces dividendes ne bénéficieront pas du régime mère/fille. La retenue à la source devrait donner droit à un crédit d’impôt imputable sur l’IS luxembourgeois. Par contre, un reliquat d’imposition devrait subsister au niveau de la taxe municipale («Municipal Business Tax») de 6,75 % (taux effectif de 6,03 % en principe après imputation du crédit d’impôt).
Plus-value sur cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière (art. 13)
L’ancienne convention avait déjà connu un amendement en 2014 qui renvoyait au droit interne pour définir la prépondérance immobilière.
Cette situation est modifiée par la nouvelle convention, qui précise la période durant laquelle la prépondérance immobilière doit être appréciée, en ligne avec le modèle de convention fiscale publié le 21 novembre 2017 par l’OCDE. Désormais, les gains qu’un résident de Luxembourg tire de l’aliénation d’actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité sont imposables en France si, à tout moment au cours des 365 jours qui précèdent l’aliénation, ces actions, parts ou autres droits tirent plus de 50 % de leur valeur, directement ou indirectement, de biens immobiliers situés en France.
Cette nouvelle rédaction ouvre la porte à l’imposition en France des gains sur la cession de titres d’une société qui n’est plus à prépondérance immobilière du fait de la cession antérieure de ses actifs immobiliers mais qui l’a été au cours des 365 derniers jours.
Intégration des nouveaux dispositifs anti-abus (art. 28)
Dans la lignée du MLI, le nouvel article 28 prévoit un dispositif anti-abus visant à refuser le bénéfice de la convention s’il est établi que, compte tenu de tous les faits et circonstances pertinents, le bénéfice de l’avantage conventionnel était l’un des objectifs principaux du schéma ayant entraîné directement ou indirectement l’octroi de cet avantage.
Ce dispositif offrira à l’administration fiscale française une alternative aux dispositions françaises de lutte contre l’abus de droit (art. L.64 du Livre des procédures fiscales).
Impôt sur la fortune des personnes physiques (art. 21)
Le nouvel impôt sur la fortune immobilière français (IFI) est visé par la nouvelle convention.
Un résident luxembourgeois ne sera soumis à l’IFI qu’au titre des biens immobiliers situés en France dont il détient la propriété. Cette nouvelle convention est donc susceptible d’avantager les résidents luxembourgeois qui détiennent des actifs immobiliers par le biais d’une société.
Entrée en vigueur (art. 30)
La nouvelle convention pourrait entrer en application dès le 1er janvier 2019 si la notification de l’accomplissement des procédures de ratification est reçue par chacun des Etats au plus tard le 31 décembre 2018.
Réflexions
Le Luxembourg a fait figure de premier de cordée. On peut se demander si la nouvelle convention augure d’une renégociation prochaine des conventions conclues avec l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique, qui ne sont pas des conventions modèle OCDE.
Les acteurs du marché immobilier devront certainement revoir leurs structures d’investissement, les adapter à la nature de leur projet immobilier et surtout à l’identité des investisseurs. Cette nouvelle convention sonne peut-être l’heure à davantage de simplicité et à la (re)découverte des dispositifs du droit interne.