Dans un arrêt du 20 septembre 2017, le Conseil d’Etat (CE, 9e-10e chambres réunies, 20/09/2017, n° 392231) a rendu une décision attendue et inédite dans le contexte d’une situation triangulaire.
Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats
La société Mecatronic était immatriculée aux Etats-Unis et disposait d’une succursale en Suisse. En juillet 2003, elle a conclu avec la société Senstronic, établie en France, une convention d’assistance dont l’exécution avait été confiée à M. A qui était l’associé majoritaire et dirigeant des deux sociétés. A la suite d’opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société Senstronic, l’administration fiscale a considéré que la société Mecatronic disposait en France, dans locaux de la société Senstronic, d’un établissement stable et a mis à sa charge des cotisations d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Nous ne nous intéresserons ici qu’à l’impôt sur les sociétés et à la contribution additionnelle à cet impôt.
Dans un arrêt du 25 juin 2013, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel de la société Mecatronic contre un jugement du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande tendant à la décharge de ces impositions. La cour avait successivement examiné l’applicabilité des conventions franco-américaine (convention entre la France et l’Etat du siège de la société Mecatronic) et franco-suisse (convention entre la France et l’Etat de la succursale de la société Mecatronic). Après avoir jugé que la convention franco-américaine était inapplicable à défaut pour la société Mecatronic d’être assujettie à l’impôt sur les sociétés aux Etats-Unis, la cour d’appel a jugé que convention fiscale entre la France et la Suisse était applicable au litige et a estimé que la société Mecatronic avait, pour ce qui concerne son activité de conseil à la société Senstronic, un siège de direction en France, caractérisant ainsi un établissement stable en application de l’article 5 de cette convention.
Le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la société Mecatronic contre cette décision tout en procédant d’office à une substitution de base légale. Dans la droite ligne de ses récentes décisions relatives à la définition du concept de résidence au sens conventionnel (CE 9·et 10·s-s-r. 9 novembre 2015. n° 370054 ; CE 9·et 10 s-s-r., 9 novembre 2015, n° 371132 ; CE 3·et 8. ch. 20 mai 2016, n° 389994, RJF, 8-9/16) et conformément aux conclusions limpides de son rapporteur public, Madame Emilie Bokdam-Tognetti, le Conseil d’Etat rejette l’application de la convention franco-suisse à défaut pour la société Mecatronic d’être résident de Suisse. Le Conseil relève en effet que la société Mecatronic ne détenait en Suisse qu’une succursale, son siège social se situant aux Etats-Unis. Or, il résulte des stipulations de l’article 4 de la convention fiscale conclue entre la France et la Suisse qu’une personne morale ne peut être regardée comme résidente de Suisse que si, en vertu de la législation de cet Etat, elle y est assujettie à l’impôt en raison de sa résidence, de son siège de direction ou d’un critère analogue.
Cette décision est importante car elle répond à une problématique souvent posée mais qui n’avait pas encore reçu de réponse claire en France : quelle convention fiscale est applicable dans les situations triangulaires impliquant les relations entre le résident d’un Etat A avec l’établissement stable situé dans un Etat B d’un résident établi dans un Etat C.
Madame Bokdam-Tognetti résume parfaitement la quintessence de la problématique en soulignant que «l’application de la clé d’entrée de la résidence, jointe au caractère bilatéral des conventions, conduit à méconnaître la réalité des flux financiers, par exemple dans le cas d’intérêts ou de dividendes versés par un tiers situé dans un Etat A à un établissement stable situé dans un Etat B sans transiter par le siège situé dans un Etat C, et dans lequel l’application de la convention liant A et B serait pertinente économiquement mais impossible juridiquement, tandis que l’application de la convention liant A et C se heurte économiquement à l’absence de toute entrée de revenus en cause dans l’Etat C».
Le Conseil d’Etat tranche cette délicate question de façon très claire en ne s’attachant qu’à la réponse juridique. Il en conclut naturellement à la non-application de la convention entre l’Etat de la source (la France) et celui de l’établissement stable (la Suisse).
Aux termes de cette décision, il est légitime de se demander si, à défaut de pouvoir appliquer la convention entre l’Etat de la source et celui de l’établissement stable, on peut appliquer la convention entre l’Etat de la source et celui du siège de la société. L’arrêt ne répond pas clairement à cette question car la convention est écartée ab initio à défaut pour la société américaine d’être soumise à l’impôt sur les sociétés aux Etats-Unis.
Compte tenu de l’approche juridique retenue par le Conseil d’Etat, il nous semble que la réponse ne fasse pas de doute. Si la société américaine avait été résidente des Etats-Unis, c’est bien la convention entre l’Etat de la source (la France) et celui du siège de la société (les Etats-Unis) qui aurait été applicable, même si une telle solution peut heurter les tenants d’une approche économique des flux.